Page:Richepin - Les Caresses, Charpentier, nouv. éd.djvu/293

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
283
nivôse


Je n’oublierai jamais notre premier printemps,
Lorsque le ciel, le bois, le soleil qui se couche,
Tout me parut plus beau dans tes yeux éclatants,
Lorsque je buvais l’air au sortir de ta bouche.
Je n’oublierai jamais, quand je vivrais cent ans.

Les oiseaux se grisaient au suc d’or des corolles ;
Mille chansons dansaient avec mille couleurs.
Car, rien que pour avoir écouté nos paroles,
Les oiseaux étaient fous, folles étaient les fleurs.
Nos paroles, hélas ! étaient encor plus folles.

Nous étions à cette heure absurde qu’on bénit,
Où l’on croit que tout passe et que l’amour demeure,
Où l’on arrange son avenir comme un nid.
Pauvres, pauvres enfants, nous étions à cette heure
Où l’on commence avec ce mot : Rien ne finit.

Mais non ! je ne veux pas réveiller ma rancune,
Ô ma maîtresse, ô ma bien-aimée, ô ma sœur !
Des souffrances d’antan je n’en irrite aucune.
Je veux me rappeler seulement la douceur
De tes baisers pareils à des baisers de lune.

Je veux me rappeler aussi ton corps divin,
Ton corps que mes désirs avaient pris pour leur crèche.
Le parfum de ta peau plus capiteux qu’un vin.
Les effluves troublants de ta gorge si fraîche,
Et notre lit fougueux creusé comme un ravin.