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LES CARESSES


Partout, emprisonnant mon âpre solitude,
Je ne vois, je n’entends que la mer, la mer rude
Qui lutte avec le vent,
Qui déchire ses mains sur les dents de la côte,
Et dont la grande voix endormeuse est plus haute
Que nos sanglots d’enfant.

Mais la mer a beau faire et peut enfler sa vague,
Le vent a beau chanter sa chanson lente et vague.
Je ne suis pas bercé.
Rien ne peut endormir ma tristesse qui rage
Et qui pousse des cris ainsi que dans l’orage
Un albatros blessé.

Des cruels souvenirs mon âme est encor pleine,
Et c’est eux que j’entends seuls dans la cantilène
Du vent et de la mer.
J’entends, j’entends toujours les heures disparues,
Dont les spectres plaintifs me suivaient par les rues,
Me chanter le même air.

Et les regrets, et les remords, et le vieux rêve
Aussi bien que là-bas viennent sur cette grève
Me hanter jusqu’ici ;
Et, rhythmant les sanglots de la mer qui déferle,
Les larmes du rocher s’égouttent perle à perle,
Et les miennes aussi.