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CARNAVAL

Son fessier dur, ses reins souples, ses seins raidis,
Et ses cuisses, piliers du secret paradis.
Comme sur un fumier fond un oiseau de proie,
Le soudard bondissant sur la fille de joie
La chevauche. Et voilà comment sont nés les cieux !
Or la Nuit n’aime pas les gens pour leurs beaux yeux,
Et, riche, nous trouvant trop pauvres, se dérobe
A nos regards lascifs dans l’ampleur de sa robe
Où sont restés piqués tous les clairs diamants.
Nuit, tu ne veux pas de nous pour tes amants ;
Tu refuses de nous montrer ton corps sans voiles,
nous qui ne pouvons te payer en étoiles.
Quand nous te poursuivons de soupirs et de vœux,
Tu ramènes sur les yeux d’or tes noirs cheveux,
Tu ris de notre amour et de notre prière,
Tu fais sonner la bourse et, tournant le derrière,
Tu nous jettes au nez ta robe aux larges plis,
Aux énormes volants de ténèbres, remplis
De perles, de saphirs, d’écus et d’escarboucles,
Et, vénale, dans ton corsage tu te boucles
En disant : « Pour me voir et m’avoir, même un peu,
Ça coûte cher. Je suis la maîtresse de Dieu. »
Et c’est à les compter, ces richesses sans nombre,
Tous ces bijoux volés illuminant ton ombre,
C’est par humilité sous ton luxe insolent
Que l’homme te vénère et te prie en tremblant.