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LES BLASPHÈMES

Dans les carrefours mon nom se pavane
Sur des plaques d’or montrant le chemin
Par où l’étranger vient en caravane
De lointains pays pour baiser ma main.

Rien qu’à déplisser mes lèvres hautaines,
Rien qu’à laisser voir le bout de mes seins,
J’ai fait déloyaux de vieux capitaines,
J’ai fait renégats des apôtres saints.

J’ai vu, tout fondus en larmes amères,
Mourir des enfants que j’avais damnés.
J’ai vu sous mes pieds sangloter leurs mères
Que je relevais pour leur rire au nez.

Je rends fou le sage et gai le morose ;
Et l’agonisant revivrait soudain
S’il pouvait flairer le bouton de rose
Dont s’enorgueillit mon secret jardin

J’aurais l’Empereur, le Pape lui-même ;
J’aurais leur bon Dieu, si je le voulais.
Mais je n’aime pas ce troupeau qui m’aime,
Ces fronts de vaincus, ces cœurs de valets.