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LES BLASPHÈMES

idées, lu modifiais les tiennes. Tu avais subrepticement repris goût au mauvais vin de l’Idéal, des Illusions spiritualistes, de la Foi en l’éternelle Justice. Donc tu me considères maintenant, toi aussi, comme un malheureux aveugle empêtré dans la boue grossière des négations. Tu t’imagines m’avoir laissé en arrière, sans t’apercevoir que je n’ai pas bougé de place, tandis que tu zigzagues autour de moi en trébuchant dans ton ivresse mystique. Soit ! Je ne t’en veux pas. C’est ton sang bleu qui t’est remonté au cerveau, ton sang d’Arya, ton pauvre sang vicié par six mille ans d’hérédité dévotieuse. Tu es redevenu idolâtre comme l’est tout notre vieux monde, en proie aux accidents tertiaires de la religiosité. Tant pis ! Mais ta rechute ne saurait me décourager, ni m’empècher de t’aimer non plus. Seulement, je ne chercherai désormais qu’en moi-même mes templa serena. Je m’envelopperai de plus en plus dans l’orgueilleuse solitude de ma pensée. Je continuerai mon œuvre sans autre désir que de m’y complaire. Cette œuvre, je la roule dans ma tète depuis plus de dix ans, et elle commence à prendre forme sous l’espèce de quatre livres, que je publierai successivement : les Blasphèmes, le Paradis de l'Athée, l'Évangile de l'Antéchrist, les Chansons éternelles. J’essaie d’y établir à ma manière une morale, une métaphysique, une politique et une cosmogonie matérialistes. Aurai-je le loisir de mener à bonne fin cette terrible et chère besogne, au milieu des luttes, des orages, des passions, des aventures, où je laisse hardiment chanter, crier et saigner ma vie ? Je ne sais ; mais, quel que doive être le sort de cette œuvre, je ne puis