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A MAURICE BOUCHOR

ce que j’avais dans la tête. Somme toute, je suis allé plus loin qu’on ne le fit jamais dans la franche expression de l’hypothèse matérialiste ; j’ai poussé à sa formule extrême cette théorie du monde sans Dieu, que personne n’a le courage d’étaler et que tous mettent secrètement en pratique ; je crois avoir dit le dernier mot de l’athée, véritable ; je suis descendu au fIn fond de ma pensée ; et cela suffit à mon orgueil.

Comme, toutefois, on ne jouit absolument de sa pensée qu’à la condition d’être compris, j’ai tâché de rendre la mienne aussi claire que possible, et je lui ai donné tout ce que je possède de passion, de raison, de poésie, tout ce que j’ai acquis de science dans mon métier de dompteur de mots.

J’espère donc, mon cher Maurice, que ce livre est bon ; et c’est avec cet espoir queje t’en offre la dédicace, comme un hommage à ta haute intelligence et comme un témoignage de notre inaltérable amitié.

Jean RICHEPIN.


P.—S. Lorsque je t’écrivis, il y a cinq ans, cette dédicace d’un livre alors inachevé, je me croyais bien sûr de trouver dans ton esprit fraternel un tranquille et doux refuge contre la haine et l’imbécillité des autres. Hélas ! voici qu’aujourd’hui cet asile même est fermé à mon espérance, Pendant que je persévérais dans mes