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LA MORT DES DIEUX

O le Chrétien sans nom, sans race, sans patrie !
Par lui plus que par tous l’Humanité meurtrie
Pleure et saigne. Car tous, Barbares et Romains,
Se fondent en un peuple étrange sous ses mains ;
Et l’occident botté, l’Orient en sandales,
Les Huns camards, les Goths énormes, les Vandales,
Les esclaves rasés, les affranchis, le tas
Des pillards sans habits, des gueux sans galetas,
Toute la lie épaisse et fermentant qui nage
Sur un monde détruit, vomit le Moyen Age.
L’Arabe, qui jusqu’en Espagne s’en alla,
A beau courir comme un éclair, criant : Allah !
Sur lui déborde à flots la foule bigarrée
Des croisades qui vont ainsi qu’une marée.
Puis les Chrétiens vainqueurs se déchirent entre eux.
C’est à qui traitera son frère de lépreux.
Catholiques latins, Albigeois, Hérétiques,
Huguenots, chacun tient les livres authentiques,
Et ces fous, se ruant par bataillons épais,
Font un nimbe de guerre au front d’un Dieu de paix.
Il s’agit de tuer, et tout sert de prétexte.
Comme au coin d’un buisson, au coin de chaque texte,
L’arquebuse ou la dague au poing, sont embusqués
Moines tondus, manants boueux, mignons musqués.
Tout le monde est armé. Nul ne peut rester neutre.
Les Saint-Barthélemy, la croix piquée au feutre,