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LES BLASPHÈMES

croyances souvent consolantes, la confiance dans la Justice, l’appétit de l’Idéal, l’admiration d’un Ordre éternel, et je foulais aux pieds cet unique trésor des misérables, l’espérance d’un avenir meilleur dans une autre vie et même ici-bas. N’importe ! Partout où se cachait l’idée de Dieu, j’allai vers elle pour la tuer. Je poursuivais le monstre sans me laisser effrayer ni attendrir, et c’est ainsi que je l’ai frappé jusque dans ses avatars les plus subtils ou les plus séduisants, j’entends le Concept de Cause, la foi dans une Loi, l’apothéose de la, Science, la religion dernière du Progrès. Voilà ce que j’ai fait, et, quelle qu’en doive être l’issue, je ne saurais m’en repentir.

Maintenant, que je sois jugé à tort et à travers, calomnié, vilipendé, voire persécuté, je n'en fais aucun doute, ni d’ailleurs aucun cas. Je m’attends à tous les malentendus volontaires ou non, et, d’avance, je me croise les bras devant toutes les haines.

Pourtant je ne demeure point sans tristesse en songeant à l’inimitié des gens de bonne foi, qui n’entreront pas en communion avec moi simplement par impuissance. Hélas ! même parmi ceux qui me loueront, combien dénatureront mes idées en les accommodant à leurs partis pris ! Même parmi ceux qui m’aimeront, combien peu oseront me suivre jusqu’au bas de cet escalier vertigineux qui conduit à l’épouvantable et serein nihilisme !


Mais il en faut faire son deuil ! Après tout, je ne cherche pas ma joie dans le suffrage des timides ni des débiles ; je la puise à la certitude d’avoir dit pleinement