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LA MORT DES DIEUX

Une atroce forêt de piques et d’épées
D’un carnage récent encor toutes trempées
Et qui sur son front bas dégouttaient. Sous ses pieds
Il écrasait, ainsi qu’un tas d’estropiés,
Les nuages, vieillards aux barbes vénérables,
Qui s’affaissaient, tordus, déchirés, misérables,
Et qu’il précipitait pêle-mêle en prison
Dans l’oubliette qui pour seuil a l’horizon.
Tremblantes, rougissant de pudeur, les nuées,
De peur d’être sur son poitrail prostituées,
Vers l’autre bout du ciel vite prenaient l’essor.
Plus d’une toutefois n’évitait point son sort.
Il l’attrapait par l’aile ou le pan de sa robe.
En vain elle résiste, et glisse, et se dérobe.
Il l’attire ; il l’enlace ; elle s’évanouit ;
L’ogre, la meurtrissant de baisers, en jouit.
La vierge est violée avant que d’être morte ;
Et le vent, comme un chien rôdeur et lâche, emporte
Quelque lambeau pendant, où son croc est entré,
Du cadavre qui saigne et qui flotte éventré.
Et le soleil roulait toujours, plein de furie.
Satisfait du viol, joyeux de la tuerie.
Féroce, il se léchait les lèvres en riant ;
Derrière lui, criblé de flèches, l’Orient
Flambait comme un brasier dans un poêle de cuivre.
Devant lui, sur le grand chemin qu’il allait suivre,