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A MAURICE BOUCHOR

Les heureux ne me pardonneront pas de constater le néant des choses, ni les malheureux de couper toutes les fleurs de leurs rêves.

Pour m’achever enfin, la tourbe des sots et des hypocrites croira de son devoir de sauver le Droit, la Propriété, la Famille, la Société, la Morale, etc…, et, à la défense de ces conventions dont je ne reconnais point l’absolu, j’entendrai clabauder toutes ces oies du Capitole.

En vérité, tu le vois, mon cher ami, pour avoir été franc avec tout le monde, je risque fort de ne plaire à personne.

Mais qu’y faire ? Faut-il donc se cantonner éternellement dans ces lâches compromis, dans ces doctrines bâtardes qui n’osent pas suivre toute la pente d’un raisonnement et qui s’arrêtent à moitié chemin, les pieds pris parmi des préjugés qu’on respecte sans y croire ? Faut-il manquer de logique, comme ces dévots qui n’ont pas le courage de se faire martyrs, comme ces faux matérialistes qui honorent la vertu, comme ces incomplets sceptiques qui doutent de tout excepté de leur doute même ? Non. J’ai préféré mener mes prémisses à leurs conclusions. Coûte que coûte, j’ai emboîté le pas à mon athéisme jusqu’au bout. Traquant l’idée de Dieu, je l’ai trouvée entourée d’une forêt d’autres idées adventices dans lesquelles j’ai dû porter la torche et la hache. Je n’ai point hésité. Certes, je l’avoue, je détruisais ainsi non seulement des superstitions grossières et odieuses, mais aussi de douces et belles illusions. A côté des autels abominables, je renversais des