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les blasphèmes

Vous n’êtes qu’un roseau pensant… comme mon stick.
Donc, au fond, vous croyez à Dieu, voilà le hic.
Vous ne l’avouez pas ; la honte est pitoyable.
Vous y croyez, my dear. J’y crois bien, moi, le Diable !
Si nous n’y croyions pas, nous autres les damnés,
Quel plaisir aurions-nous à lui cracher au nez ?
Heureusement, il est. On peut blaguer son œuvre.
Il est partout, il est toujours, comme une pieuvre
Au corps informe, aux bras infinis et flottants,
Nageant sous les flots noirs de l’espace et du temps,
Et tenant l’Univers avec ses tentacules.
Ce n’est pas un de ces grands-pères ridicules,
À barbe blanche, à l’air folâtre et bon enfant.
C’est un monstre hideux et fantasque, étouffant
Le monde dont il boit le sang par ses ventouses.
Il a des désirs fous, des rancunes jalouses,
Des caprices, des cris de haine, des remords.
Il fait les hommes, puis il voudrait les voir morts.
Son Eden est un guet-apens. Il se déjuge
Et sa création aboutit au déluge.
Ensuite il se repent du tour qu’il a joué
En voulant vous détruire : il conserve Noé.
Pourquoi ? Pour amener ce résultat, en somme.
Que son Fils, éternel, infini, se fasse homme,
Naisse sans déflorer sa mère, et meure en croix.
C’est un original, allez, le Roi des Rois !