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les blasphèmes

De son appui notre âme à perpétuité.
Le Diable, je l’ai vu, vous dis-je, en vérité.
J’étais au coin du feu, seul, relisant le livre
Du vieux Lucrèce dont la parole m’enivre,
Ce livre obscur, gonflé d’une amère liqueur,
Où le sage Épicure a versé son grand cœur.
Je le buvais avec une soif obstinée,
Quand tout à coup je vis, près de la cheminée,
À l’autre coin, vautré dans le fond d’un fauteuil,
Le Malin souriant et qui clignait de l’œil.
Il n’avait pas cet air grotesque qu’on lui prête,
Le nez noir, le pied bot, les cornes sur la tête,
La queue au cul. C’était un monsieur fort bien mis.
Il ressemblait à l’un de mes meilleurs amis,
Félix Bouchor, qui fut un des rois de la mode.
Sa jaquette, à la fois très collante et commode,
Moulait sa taille. Un nœud fait d’un ruban étroit
Planait en papillon à son col raide et droit.
Sa chemise à plastron lui cuirassait le buste.
Son pantalon tombait sur sa bottine juste
En un rond tracé net sans plis inélégants.
Quant aux cornets de ses manchettes sur ses gants
Jaunes, deux-porte-fleurs avec deux giroflées !
Pas de bijoux voyants ; pas de poches gonflées ;
Rien qui puât la pose ou bien le luxe faux.
Un goût riche et discret, sans excès ni défauts.