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LE JUIF-ERRANT

A travers monts et vaux, et déserts, et cités,
A travers les malheurs et les félicités,
Parmi les chocs sanglants des races, la bataille
De la vie où chacun prend la part qu’il se taille,
Parmi les cris, les pleurs, les espoirs, les regrets,
J’ai marché, comme tu l’as dit, Jésus !… Après ?
Mon âpre châtiment, qu’est-ce qu’il te rapporte ?
Aujourd’hui comme à l’heure où je t’ai clos ma porte,
Où je t’ai refusé de te verser mon vin,
Malgré le temps passé, malgré ton nom divin
Chanté par des troupeaux de prêtres en délire,
Malgré ta gloire et ta puissance qu’on peut lire
En lettres de granit dans tes mille milliers
De temples à genoux sous leurs larges piliers,
Malgré ton ostensoir dont les flammes astrales
Allument un soleil au fond des cathédrales,
Malgré les poings tendus pour excommunier
Quiconque ose lever la tête et te nier,
Malgré la lâcheté du monde ton complice,
Aujourd’hui comme au jour lointain de ton supplice,
Christ, je ne veux pas être un de tes témoins.
Je ne crus pas en toi. J’y crois de moins en moins.
A l’heure où je te vis gravissant le Calvaire,
Pour ne point partager ma maison et mon verre
Avec toi, je n’avais qu’un instinct mécréant ;
J’ai ceci désormais, que j’ai vu ton néant.