Page:Richepin - Les Blasphèmes, 1890.djvu/127

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
117
LE JUIF-ERRANT

Oue je n’étais point un de ces estropiés
Qui croyaient à sa voix et tombaient à ses pieds.
Ce mépris lui fit mal. Malgré tout, il en coûte,
Ouand on meurt pour un mot, de voir qu’un autre en doute.
Ces martyrs exaltés, un ennemi les rend
Moins tristes mille fois qu’un simple indifférent.
Ce qui leur fait suer leur plus âpre agonie
N’est pas le fer qui tue, et c’est l’esprit qui nie.
Sur mon esprit Jésus se sentait sans pouvoir.
Ne sachant me convaincre, il voulut m’émouvoir.
Il pleura. Ses beaux yeux resplendissaient d’extase
Et de douleur. « Pitié ! dit-il, ma croix m’écrase.
Je suis déjà tombé trois fois. Ne veux-tu pas
Que je m’asseye un peu chez toi ? Je suis si las ! »

Ahl certes, jeus alors un instant de faiblesse.
Je le revois encor, sous sa croix qui le blesse.
Les pieds meurtris, les mains saignantes, les genoux
Dans la fange, et des yeux si tendres et si doux
Qu’il fallait, pour ne point céder, un cœur de pierre.
Une larme vraiment roula sous ma paupière.
Je sentis comme un vent d’amour m’emplir d’émoi.
Je fus près de lui dire : « Allons, entre chez moi. »
Et j’avançais la main pour lui verser à boire.
Mais je vis dans ses yeux un éclair de victoire ;