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marines


Voici des chars de guerre au fracas de ferrailles,
Montés par des archers tout debout sur leurs bancs.
Voici leurs larges faulx traînant en longs rubans
Des loques de peau blême et de vertes entrailles.

Voici des fantassins en épais bataillons,
Hérissés comme un mur de piques et d’épées,
Où les poitrails ouverts et les faces coupées
Au fil de l’acier froid s’effrangent en haillons.

Et jusqu’au jour ce fut ainsi. Nuit et tempête
Au fond tourbillonnant du gouffre en entonnoir !
Le flot, le vent, le roc, luttèrent dans le noir,
Aux sanglots du tambour, aux cris de la trompette.

Et lorsque vint l’aurore, après que le reflux
Eût tout emporté, bruits et spectres de l’orage,
La bataille acharnée avait si bien fait rage
Que, vaincus ou vainqueurs, aucun ne restait plus.

Mais leur mémoire encor couvrait la plage entière.
D’énormes blocs épars, où perchaient des corbeaux.
De tous ces guerriers morts figuraient les tombeaux.
Et leur champ de bataille était leur cimetière.

L’un près de l’autre, seuls, à l’écart, deux rochers
Fauves et reluisants arrondissaient leurs dômes.
Et c’étaient les deux rois de ces peuples fantômes,
Héros trop grands pour être ensevelis couchés,