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les litanies de la mer


Porte du ciel ouvrant ce radieux domaine
Où tous seront élus, nuls ne seront maudits.
Repos dominical de la longue semaine,

Sûre abolition des antiques édits
Qui nous ont condamnés à combattre pour vivre,
Porte du ciel, ô seuil des futurs Paradis !

Porte dont au couchant on voit les gonds de cuivre !
Beau ciel en qui je n’ai pas foi, ciel du progrès,
Souvent je sens en moi sourdre un désir de suivre

Ceux qui marchent vers toi, qui te disent tout près ;
Et j’ai beau m’assurer que ton aube est menteuse,
Si je ne m’y rends pas, ce n’est point sans regrets.

Étoile du matin, divine entremetteuse,
Pardonne si mon cœur résiste à tes clins d’yeux,
Aux ensorcèlements de ta voix chuchoteuse,

Et si, rebelle à ton sourire insidieux,
Je refuse d’entrer au temple où l’on redresse
Pour ce Dieu nouveau-né l’autel des anciens Dieux.

Étoile du matin, ah ! je comprends l’ivresse
De ceux à qui ta vue a troublé la raison,
Et qui, t’aimant ainsi qu’on aime une maîtresse,

Abandonnent pour toi leur mère et leur maison,
Sans pouvoir se douter qu’au bout de leur folie
Le prix de tant d’amour sera ta trahison.