Pour que plus lentement ta mamelle tarisse.
Sois ménagère enfin de son lait précieux.
Ô mer prodigue, apprends à ton cœur l’avarice.
Ne souffle pas si fort vers les avides cieux
Ces vivantes vapeurs qu’un jour nos tristes races
Y chercheront en vain pour rafraîchir leurs yeux.
Ne dilapide plus le trésor de tes grâces
À l’espace, au soleil, au vent, au sol voleur
Qui le boivent sans fin de leurs lèvres voraces.
Ô mer, que ton printemps se garde dans sa fleur !
Ô mer, ne hâte point l’heure du noir mystère
Où dans l’exhalaison de ton suprême pleur
S’envoleront notre être et l’âme de la terre !
Ô mer qui nous as faits, ô mer que nous aimons,
Mer adorable, mer bonne, mer salutaire,
Mer aux cheveux d’argent coiffés de goëmons,
Mer qui portes l’Avril dans ta verte prunelle,
Ô chair de notre chair, ô vent de nos poumons,
Ô mer qui nous parais la jeunesse éternelle,
Oh ! laisse-nous longtemps encor dans l’avenir
Croire à cette jeunesse et rajeunir en elle.
Et nous imaginer qu’elle ne peut finir,
Et toujours en vouloir l’incessante caresse,
Et la faire à nos vers incessamment bénir,
Page:Richepin - La Mer, 1894.djvu/337
Cette page a été validée par deux contributeurs.
323
les grandes chansons