Page:Richepin - La Mer, 1894.djvu/333

Cette page a été validée par deux contributeurs.
319
les grandes chansons


Et ces larves un jour au soleil apparues
Y serviront d’assise aux continents nouveaux
Où tes flots briseront les socs de leurs charrues.

Ainsi, la terre et toi confondant vos niveaux.
C’est le tien qui devra subir la loi dernière.
La lutte est inégale entre vos cœurs rivaux.

Elle si mendiante et toi trop aumônière.
Grâce à tes charités son triomphe est certain.
C’est elle qui sur toi plantera sa bannière.

Et tu reculeras d’un pas chaque matin,
D’un autre pas encor chaque soir devant elle.
Elle te prendra tout, tes vagues de satin,

Tes plages d’or et tes écumes de dentelle ;
Elle mettra ton corps ratatiné tout nu ;
Et tu devras mourir, alors, pauvre immortelle !

Oh ! quel jour ! Je le vois en rêve. Il est venu.
De cette immensité radieuse et mobile
Il ne reste plus rien qu’un lac au flot menu.

Une vase où frémit un brin d’algue débile,
Un marais croupissant, morne et silencieux,
Épais comme un crachat, noir comme de la bile.

Quelques agonisants sont là, buvant des yeux.
Humant à pleins poumons ce peu d’eau qui demeure
Et qui va dans l’instant s’exhaler vers les cieux.