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les grandes chansons

Les hauts confins de l’air en sont le chapiteau,
Où monte la vapeur s’exhalant de cette eau.
Elle y pourrait planer, puis tomber de ce faite.
Mais du sûr alambic la figure est parfaite.
Les pôles, les sommets, sont ses réfrigérants.
Ses récipients sont les glaciers, les torrents
Et les lacs endormis dans le creux des vallées.
Ainsi des flots amers les ondes dessalées
Se distillent sans cesse et font ces gouttes d’eau.
Qui sont d’abord nuage au mobile rideau
D’où la pluie en tombant fertilise les graines.
Puis infiltrations et sources souterraines,
Puis ruisselets chanteurs, puis ruisseaux tortueux.
Puis rivières, enfin fleuves majestueux
Dont le cours lentement par les champs se déroule
Et dont les flots grossis, entraînant dans leur houle
Les sels du sol poudreux et du roc écrêté,
S’en vont rendre à la mer plus qu’elle n’a prêté.
Plus, et moins toutefois. Car ce qu’elle prête, elle,
C’est sa force sans fin, sa jeunesse immortelle,
Son cœur purifiant où toute mort renaît.
Oui, l’eau douce qui court sur notre globe en est
Comme le sang. Ce sang circule dans les terres
Par les fleuves, par les rivières, ces artères
Que les membres du sol sentent fluer en eux.
Mais le sang lourd, au bout de sa course, est veineux.
Fait pour battre et courir, son épaisseur le gêne.
Noir, il a besoin d’air, il a soif d’oxygène.
C’est seulement au cœur qu’il peut, ressuscité,
Reconquérir sa pourpre et sa limpidité.