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les litanies de la mer


Mère sans tache à qui nul n’a mis dans les veines
Une goutte de sang au germe adultérin !
Cavale en liberté qui mâches des verveines

D’une bouche où jamais on n’a passé le frein ;
Amazone sauvage et fièrement rebelle,
Aux flancs drapés d’hermine, aux seins bardés d’airain,

Indomptable tigresse aux yeux de colombelle
Toujours extasiés et toujours langoureux ;
Mère sans tache et pour cela d’autant plus belle.

Car les amants, plus forts de ce qu’on fait contre eux,
À tes rebellions doublent leurs convoitises,
Et les plus dédaignés sont les plus amoureux.

Pourtant, sans le vouloir, c’est toi qui les courtises,
Mère aimable et les feux qui leur brûlent les reins,
Inextinguibles, fous, c’est toi qui les attises ;

C’est toi, c’est ton regard aux aimants souverains,
Tes cheveux dénoués flottant en mèches vertes,
Tes membres alanguis, onduleux, vipérins,

Qui promettent l’espoir d’étranges découvertes :
Mère aimable, c’est toi qui leur tends comme appâts
Tes seins alliciants, tes lèvres entr’ouvertes.

Ah ! qui peut t’approcher et ne te vouloir pas ?
Par toi toute abstinence est muée en fringale
À la tentation de semblables repas.