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les grandes chansons


Des fucus de mille ans et des algues sans bouts
Leur font une forêt dont ils paissent les herbes,
Et dans laquelle ils sont petits, eux les superbes.
Comme des éléphants dans un champ de bambou.

Parmi ces promenoirs et ces forêts épaisses
Ils retrouvent encor parfois l’illusion
Des temps où la nature en pleine éclosion
Savait tout faire énorme ainsi que leurs espèces.

Mais quelquefois aussi leurs cœurs inconsolés,
Las de cette prison, sentent la nostalgie
D’aller voir à leur tour le ciel et la magie
De ce soleil perdu dont ils sont exilés.

Ils viennent respirer l’azur qui régénère,
Et leur front fabuleux se dresse à l’horizon.
Celui qui l’aperçoit n’en croit pas sa raison,
Et celui qui le dit semble un visionnaire.

Non, non, vieux matelots, non. vous n’étiez pas fous !
Vous avez contemplé ces choses-là vivantes.
Vous avez sous vos yeux tenu ces épouvantes.
Ô légendes des bons aïeux, je crois en vous.

Je crois possible encor que subsiste et revienne,
Conservé par l’abîme ainsi qu’aux jours anciens,
Quelque monstre vainqueur du désastre des siens,
Dernier fils de la faune antédiluvienne.