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les litanies de la mer


Sainte mère de Dieu, car c’est toi la patrie
De l’homme, et Dieu naquit dès que l’homme eut rêvé ;
C’est de ton horizon et de sa rêverie

Que pour la prime fois le spectre s’est levé.
Ô spectre vague, qui d’abord des flots émerges,
Tu leur dois d’être au monde, à nous d’être achevé.

Mer, église où la nuit vient allumer des cierges,
Où le soir s’évapore en nuages d’encens,
Où le chrétien le voit, Sainte Vierge des Vierges,

Dans le magnificat des Chérubins dansants
Qui te font un grand dais de l’ombre de leurs ailes
Cependant que ton fils sourit à leurs accents.

Mère du Christ, de moi n’espère point ces zèles.
C’est la mer que je vois dans la mer, et non pas
Ces images d’un culte insipide sans elles,

La mer, azur et moire, émeraude et lampas,
La mer aux flots sauteurs comme un troupeau de zèbres.
La Mère de l’auteur de la grâce, aux appas

Innombrables, divers, gais ensemble et funèbres,
Car la grâce est la vie. et l’onde en est l’auteur,
Et la clarté du jour surgit de ses ténèbres.

Ô mer, déroule ici tes flux avec lenteur,
Et fais voir à mes yeux d’autres allégories
Que Mère du Sauveur, Mère du Créateur.