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la mer

Car toi qui prêtas ton essence
À notre primitive faim,
Sel qui connus notre naissance,
Tu nous scelleras notre fin.
Humble grain que la paludière
Vole en passant pour sa chaudière
Et cache au fond de son couffin,
Sel que gaspillent les servantes,
Tu verras les formes vivantes
Fondre, et de ces jours d’épouvantes
Tu seras le blanc séraphin.

*


De l’air brûlé, du sol sans eau, du ciel sans rides.
Chante le chant de mort, terre aux lèvres arides !

*

  
Enfin l’heure est venue où les suprêmes flots
Dans l’Océan suprême ont replié leur moire,
Et les livres anciens gardent seuls la mémoire
Des hommes d’autrefois qu’on nommait matelots.

Des centenaires fous, près des flaques dernières.
Disent avoir vu là des apparences d’eau
Où planait un brouillard comme un léger rideau.
Grenouilles coassant au fond sec des ornières.

On écoute râler leurs contes du vieux temps ;
Mais aux lieux désignés par leur geste débile
On ne distingue plus qu’une plaine immobile
D’où se sont envolés les nuages flottants.