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la mer


— Regarde mieux nos fronts arides,
Quand nous flottons comme un drapeau.
Cette moire, ce sont des rides
Aux plis flasques de notre peau.

— Jolis flots, comme des bergères,
Paissant vos moutons, vous chantez.
Leurs toisons d’écumes légères
Vous font des flocons argentés.

— À l’aube des temps nous vécûmes,
Et c’est pourquoi jusqu’à nos flancs
Ce que tu nommes des écumes
Pend en mèches de cheveux blancs.

— Jolis flots, si jeunes quand même,
Je veux ouvrir vos cœurs fermés.
Mais j’aimerais aimer qui m’aime.
Dites-moi donc si vous m’aimez.

— Ni toi, ni personne. Cœurs vides
Où ne bat que la trahison.
Vieux Judas aux lèvres livides.
Notre baiser est un poison.

— Jolis flots de la mer jolie,
Ah ! cependant j’étais tout prêt
À verser ma mélancolie
Dans votre âme qui la boirait.