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la mer

V

LE BAISER DU VENT


Je sais pourquoi tu geins toujours, grande pleureuse,
Inconsolable mer qui geins même en rêvant,
Et quel rêve impossible et quel vœu décevant
Gonflent de lourds sanglots ta chanson douloureuse.

Oui, je sais ton secret, ô mer, vaine amoureuse
Du mâle insaisissable et volage, le vent.
C’est vers lui, ce fuyard, que tu vas soulevant
Ta croupe qu’il soufflette et ton ventre qu’il creuse.

Tu voudrais l’arrêter, retenir dans leur cours
Ses galops essoufflants qui te semblent trop courts.
Mais son baiser d’oiseau t’effleure et se dérobe.

Et tandis que ce beau don Juan, vite repu,
Court vers quelque nuée et lui trousse la robe.
Tu n’achèves jamais ton spasme interrompu.