N’est-ce pas, notre gas, que ce sang-là souvent
Te fait battre le pouls par les soirs de grand vent,
Et que ça te plairait d’aller sous les étoiles
Écouter la chanson que ce vent chante aux voiles ?
Dis, notre gas, dis-le, que tu n’as peur de rien,
Que tu ne seras pas failli chien de terrien.
Que tu t’embarqueras comme un fils de vrais hommes,
Quitte à venir un jour nous rejoindre où nous sommes !
Crois-tu donc, après tout, qu’on soit si malheureux
De mourir dans les flots, ayant vécu sur eux ?
Non, non. Et puis, vois-tu, ses instants de folie
N’empêchent pas la mer d’être la mer jolie,
Pays de l’aventure et de la liberté.
Rien n’en dégoûte plus, quand on en a goûté.
La soif qu’on y prend, seule, elle la désaltère.
S’il nous était donné de revenir à terre,
Nous tous qui l’aimions tant, nous tous qu’elle a déçus,
Nous ne demanderions qu’à repartir dessus. —
Ainsi, par d’autres mots encor, dans une langue
Dont je traduis en vain l’éloquente harangue,
Ses ancêtres venaient pour l’enfant endormi
Rendre à la mer cruelle un témoignage ami.
Lentement il sentait sourdre au fond de son être
L’irrésistible et fou désir de la connaître ;
Et contre sa grand’mère il lui donnait raison.
Triste, enchaîné dans son serment comme en prison,
Il n’osait raconter à la vieille son rêve ;
Mais il allait parfois, seul, s’asseoir à la grève ;
Et devant cet espace où jamais il n’irait,
Amoureux de la mer, il pleurait en secret.
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les gas