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la mer

Et si pour t’attirer, levant ses jupes vertes,
Elle t’offre son ventre et ses cuisses ouvertes,
Tu cracheras dedans pour lui montrer le cas
Qu’il faut en faire. Dis, tu n’iras point, mon gas ?
Jure-le, jure ! — Et lui, soûlé par sa colère,
Jetait aussi dans l’eau des galets pour lui plaire.
Et jurait par serment, en crachant vers le flot,
Qu’il ne serait jamais pêcheur ni matelot.
Ces jours-là, la grand’mère avait le cœur moins sombre.
Et quand, le soir venu, devant l’âtre plein d’ombre
Elle s’assoupissait à tricoter son bas.
C’est presque en souriant qu’elle grognait tout bas :
— Non, tu ne l’auras pas, celui-là, sale garce ! —
Mais les échos du large en leur haleine éparse
Apportaient au sommeil de l’enfant qui rêvait
Tous les bruits de la mer chantant à son chevet.
Dans ces vagues rumeurs il lui semblait entendre
Des siens qui l’appelaient la voix lointaine et tendre.
Ses oncles, son grand’père et son père ; et ceux-là
Lui disaient : — Nous l’aimions, cette mer. Aime-la !
Crois-nous et n’en crois pas ta folle de grand’mère.
La mer est aussi douce, enfant, qu’elle est amère.
Ses flots mobiles, c’est notre patrie à nous.
Va, laisse les terriens entrer jusqu’aux genoux
Dans la terre boueuse où leur pied prend racine.
Ils ont peur de la mer comme d’une assassine.
C’est que pour en sentir les rudes voluptés
Il faut des reins vaillants et des cœurs indomptés ;
Il faut, ainsi que toi, libre des terreurs vaines,
Avoir du brave sang de marin dans les veines.