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la mer

Toi qui sais que son creux peut devenir ta fosse ?
Pourquoi toujours voguer, pour finir comme nous
Dans cette tombe où nul ne mettra les genoux ?
Ah ! pêcheur qui t’en vas, reste donc sur la terre.
Ne vois-tu pas sur l’eau le sabot solitaire ?
Mais la voix du pêcheur plus proche a retenti.
Il revient en chantant comme il était parti ;
Revient ce soir, et pour repartir à l’aurore.
Quand il repartira, c’est en chantant encore.
Toujours brave, toujours d’un cœur insoucieux,
Sur l’infini des eaux, sous l’infini des cieux.
Ses filets sont posés. La mer grossit. N’empêche
Qu’il est sûr pour demain de faire bonne pèche.
La femme et les petits ne manqueront de rien.
Il chante. Ah ! ce métier de chien, de galérien,
On l’aime, on l’aime tant, d’une amour si têtue !
C’est la mer qui vous plaît, cette mer qui vous tue.
Elle sait vous manger, mais aussi vous nourrir.
On en a tant vécu qu’on en peut bien mourir !
Et le pêcheur, tout près d’arriver à la côte,
Reprend l’air d’une voix plus joyeuse et plus haute.

Nous étions deux, nous étions trois,
Nous étions deux, nous étions trois.

Va donc, le vent du nord, l’homme qu’un flot emporte,
La veuve en deuil, les gas orphelins, bah ! qu’importe !
La mer qui fait tout ça ne le fait pas exprès.
Puis, la mer avant tout, et les autres après !
Houp ! quand même, et gaîment, en marins que nous sommes !
Tant que la mer vivra, la mer aura des hommes.