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les gas

Que sur un tertre vert on verse avec ses pleurs
En y mettant un brin de buis, un pot de fleurs !
Car son homme aura bien un coin au champ d’avène,
Sous ces mots : Mort en mer ; mais dans la bière vaine
Le corps ne sera pas en terre sous la croix.
Le corps, le pauvre corps, les flots profonds et froids
Le roulent maintenant au hasard des marées,
Parmi les prés voguants des algues démarrées
Où paissent les poissons qui mettront en lambeaux
Tous ses membres épars dans de vivants tombeaux.
Et nul ne lui fera son lit pour qu’il y dorme.
Il ne restera rien de lui, rien de sa forme,
Rien qui de ce qu’il fut garde le souvenir,
Rien qu’on puisse revoir, rien qu’on puisse bénir.
Il ne restera rien de lui, que sa pauvre âme
Qu’on entendra pleurer les nuits où la mer brame.

Son garde-pipe et son couteau,
Son garde-pipe et son couteau,
Et son sabot flottai-ait sur l’eau
Mon tradéri tra trou lon la,
Mon tradéri tra lanlai-ai-aire.

Ah ! les enfants sans père et le noyé hideux !
Nous étions trois, et nous ne sommes plus que deux.
Comme il flotte sur l’eau, le sabot solitaire !
Ah ! pêcheur qui t’en vas, pourquoi fuis-tu la terre ?
Ainsi parlent les morts par la bouche des flots.
Ainsi dit la chanson que rhythment leurs sanglots.
Oui, pourquoi t’en aller sur la vague si fausse,