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la mer

Mon matelot tomba dans l’eau… La voix sanglote…
Il a fait avec moi son congé sur la flotte.
Partis ensemble, dà ! Lâchés ensemble aussi.
Il était, comme moi, de la classe, et d’ici ;
Et du même filet on aurait dit deux mailles.
Puis, comme moi toujours, il a femme et marmailles.
Veuve, à c’t’heure, orphelins ! Comment vivre pourtant ?
Car il n’a rien laissé, pauvre bougre, en partant.
Sur lui le matelot a sa fortune entière ;
Et quand il tombe à l’eau, c’est l’eau son héritière.

On n’retrouva que son chapeau,
On n’retrouva que son chapeau,
Son garde-pipe et son-on couteau,
Mon tradéri tra trou lon la
Mon tradéri tra lanlai-ai-aire !

Trois fils ! Et c’est tout ça qu’ils se partageront !
L’un aura le chapeau, trop large pour son front ;
Ça ne peut plus servir qu’à demander l’aumône.
Le plus petit prendra l’étui de cuivre jaune ;
Et l’aîné gardera pour l’heure des repas
Le couteau qui coupait le pain qu’il n’aura pas.
Ah ! l’on rêvait pour eux des existences douces,
Hein ! la mère ! À présent qu’en fera-t-on ? Des mousses.
Et tout de suite ! Avant leur douze ans, embarqués !
Ou bien ça s’en irait mendier sur les quais.
Quant à la veuve, pas même ce qu’ont les autres :
La consolation des lentes patenôtres