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la mer


Il souffle, souffle, souffle. En vain l’on s’évertue.
Pas moyen de virer à la brise têtue.
Et l’on entend d’ici le bruit tonitruant
Des taureaux de la mer aux récifs se ruant.
C’est la côte, la terre infâme, où l’on se broie
Aux mâchoires des rocs qui lacèrent leur proie.
Non, non, plutôt que d’être ainsi mis en morceaux,
Luttons, colletons-nous encore avec les eaux !
La chaloupe est servie et la vague est gourmande.
Mais, l’aviron au poing, c’est l’homme qui commande.

Le vent du nord vint à souffler,
Le vent du nord vint à souffler,
Faut mettre la chalou-oupe à l’eau,
Mon tradéri tra trou lon la,
Mon tradéri tra lanlai-ai-aire !

Ah ! comme elle paraît lamentable d’ici,
La chanson qui là-bas s’égaille sans souci !
Qui sait si ce pêcheur, perdu dans l’ombre grise,
Ne va pas rencontrer aussi, lui, cette brise,
Ce vent du nord qui jette aux rochers le bateau ?
Un coup par le travers, et sa barque fait eau !
Il est seul. Il est loin. Il n’a rien que sa rame.
Pourtant il va toujours. Il chante. Et tout le drame
Qu’il évoque en deux mots sans un pleur dans la voix,
Tout ce drame surgit. Je l’entends. Je le vois.
Ils sont dans la chaloupe, à la rame, à l’aveugle,
Contre l’eau qui rugit, contre le vent qui beugle.