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les gas

Pour la goûter dans sa grandeur mélancolique,
Il faut l’entendre au soir, quand le soleil oblique
Avant de s’en aller lui dresse son décor,
Lorsqu’en derniers flocons sa pourpre saigne encor.
Tandis qu’à l’autre bout du ciel la nuit reflète
Ses cheveux dénoués dans la mer violette.
Oh ! comme le vieil air alors vous entre à fond,
Chanté là-bas par un qui dans l’ombre se fond.
Par un pauvre pécheur qui, tourné vers la terre,
S’enfonce au large sur sa barque solitaire !
Oh ! le puissant, le fier poëme, et pénétrant !
Quelle évocation il fait ! Quel charme il prend
À rouler sur les flots où ce rameur le pousse
Avec sa rauque voix que le lointain rend douce !
Mais comment le noter, ce poëme ? Comment
En traduire la vie et l’âme, où le moment,
L’onde immense, le ciel profond, l’ombre infinie.
Mystérieusement mêlent leur harmonie ?
Comme dans un herbier les goëmons défunts
Se dessèchent, flétris, et perdent leurs parfums,
Cette musique et ces paroles, entendues
Sur la mer qui frissonne et dans les étendues,
Vont-elles pas mourir et se flétrir aussi
Sur ce froid papier blanc par ma plume noirci ?
Bah ! les mots, vieux sorciers, ont des métempsychoses,
Et leurs philtres savants font revivre les choses.
Essayons !

Attendri, pourtant non sans gaîté,
L’air s’élance d’abord dans un vers répété,