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les gas

Mais qui pour mes regards de novice terrien
Ont l’aspect d’un prodige et ne rappellent rien ?
Et quel tas ! On en a plus haut qu’à demi-botte.
On glisse là-dedans comme un homme en ribote
Qui parmi des écrins et sur un médaillier
Piétinerait dans la montre d’un joaillier.
Encor tous les joyaux de toutes les vitrines
Pâliraient-ils devant les ventres, les poitrines,
Les nageoires, les dos, les têtes de ces corps
Où le prisme défait et refait mille accords.
J’exagère ? Non pas. Qu’il vienne un lapidaire,
Un peintre, le plus grand, qu’il voie et considère
Si ce n’est pas assez pour lui faire dire oh !
Du plus humble de ces poissons, du maquereau.
Le ventre est d’argent clair et de nacre opaline,
Et le dos en saphir rayé de tourmaline
Se glace d’émeraude et de rubis changeant.
Au moment de la mort, sur la nacre, l’argent.
Le saphir, le rubis, l’émeraude, une teinte
De rose et de lilas s’allume, puis, éteinte,
Se fond en un bouquet fané délicieux
Plus tendre que celui du couchant dans les cieux.
Et ce turbot, marbré comme une agate obscure !
Et ce merlan qui semble un poignard en mercure !
Et la plie orangée, aux lunules de fiel !
Et celle en disque blond, tel un gâteau de miel !
Et le crapaud de mer, corps d’azur, tête plate
Où rutilent deux yeux à prunelle écarlate !
Et le hareng, vêtu d’éclairs phosphorescents !
Et que d’autres, qui sont et des mille et des cents !