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la chanson des gueux


Leur offrir la pauvre sagesse
Quand de folie ils ont les biens,
Qu’est-ce, sinon faire largesse
De soupe aux bœufs, d’avoine aux chiens ?

*

Il disait vrai. Sa vie, hélas ! sera la mienne.
Comme lui, j’ai tenté la route bohémienne.
Je m’en vais en chantant dès le lever du jour,
Par les prés de l’espoir, par les bois de l’amour,
Et le long de ta haie en fleurs, verte jeunesse.
Quand un plaisir est mort, j’attends qu’un autre naisse,
Et prends celui qui vient sans voir celui qui part.
À maint joyeux banquet j’ai bonne et large part,
Et d’espoirs capiteux à loisir je m’enivre.
La rime est un jupon ; je m’amuse à la suivre.
Je l’accoste ; la fille en route se défend ;
Bah ! derrière un taillis je lui fais un enfant,
Et je m’en vais après vers une autre chimère
Laissant sur mon chemin et l’enfant et la mère.
Je suis jeune aujourd’hui, gai, fantasque, fougueux.
Mais je sais que je dois finir comme ce gueux.
Notre sentier fleuri s’achève en pente rude
Dans un désert peuplé d’amère solitude.
Et peut-être qu’un jour, lorsque l’âge outrageant
À mes cheveux d’ébène aura mêlé l’argent,
Quand je n’aurai plus rien à jouer de mon rôle,
Quand les hommes, après m’avoir trouvé très drôle