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XVIII
la chanson des gueux

tions sans doute, on m’a rendu responsable de tout.

De quel droit, franchement, de quel droit ? Par quelle monstrueuse aberration en est-on venu à châtier dans un auteur les fautes de ses personnages ? Je me le demande toujours avec le même ahurissement. Pourquoi ne met-on pas aussi en accusation tous les romanciers, tous les dramaturges, quand ils représentent des fripons, des traîtres, des empoisonneurs, des meurtriers ? Pourquoi ne leur fait-on pas porter, comme à moi, le poids des horreurs dites ou commises par leurs héros ? Si elle veut être conséquente avec elle-même, la Justice doit envoyer, non pas en prison pour trente jours, mais au bagne et à l’échafaud, quiconque a écrit une œuvre vivante où palpite et saigne un lambeau du criminel cœur humain. Allons, mes frères, tendons nos poignets aux menottes des ligotteurs, et qu’on commande des guillotines pour hommes de lettres !

Plaisanterie à part, la question est grave ; et on me pardonnera d’entrer dans des considérations plus hautes, à propos de cette accusation d’immoralité que j’ai l’honneur d’avoir partagée en ce temps hypocrite avec des maîtres tels que Baudelaire et Flaubert. Il s’agit ici, non plus de mon cas particulier, mais, en