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XVI
la chanson des gueux

leur pain amer, bu de leur vin qui soûle, et que j’ai, sinon excusé, du moins expliqué leur manière étrange de résoudre le problème du combat de la vie, leur existence de raccroc sur les marges de la société, et aussi leur besoin d’oubli, d’ivresse, de joie, et ces oublis de tout, ces ivresses épouvantables, cette joie que nous trouvons grossière, crapuleuse, et qui est la joie pourtant, la belle joie au rire épanoui, aux yeux trempés, au cœur ouvert, la joie jeune et humaine, comme le soleil est toujours le soleil, même sur les flaques de boue, même sur les caillots de sang.

Et j’aime encore ce je ne sais quoi qui les rend beaux, nobles, cet instinct de bête sauvage qui les jette dans l’aventure, mauvaise et sinistre, soit ! mais avec une indépendance farouche. Oh ! la merveilleuse fable de La Fontaine, sur le loup et le chien ! Souvenez-vous ! Le vagabond n’a que la peau sur les os. Le dogue est gras, poli. Oui, mais le cou pelé, le collier ! Vivre l’attache ! Vous ne courez donc pas où vous voulez ? Non ? Alors, adieu les franches lippées. Au bois ! Au bois ! Tout à la pointe de l’épée ! Et maître loup s’enfuit et court encor. Il court encore et courra toujours, le loup, ce gueux, et je l’aime pour cela, et toute âme un peu haute l’aimera de même, ce paria