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nous autres gueux


Le saucisson non plus, frère, n’est pas mauvais.
C’est l’éperon à boire. Ohé ! qu’on nous l’amène !
Nous lutterons avec la ripaille, et je vais
Enterrer son armée au creux de ma bedaine.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Frère, veux-tu dormir sur ce bon matelas ?

Jusqu’à l’heure où le ciel est bleu comme du soufre
Qui flambe, nous ferons un long somme, étant las.
Nous ne rêverons point, car en rêvant on souffre.

Et demain, au réveil, nous serons frais et gais,
Nous aurons ce beau teint fleuri que l’on révère.
Nous chanterons ; et quand nous serons fatigués,
Nous recommencerons à vider notre verre.

Et nous irons ainsi demain, après-demain,
Toujours. Si quelqu’un dit que l’on se déshonore
À ce jeu, nous ferons, en nous tenant la main,
Au nez de sa vertu ronfler un rot sonore.

L’honneur, c’est de bien vivre et d’être très heureux.
Ventre libre, pieds chauds, cœur vide et tête froide.
Au diable les prêcheurs rigides ! Bren pour eux !
C’est l’affaire d’un mort de se montrer si roide.

Nous, nous sommes vivants, et très vivants, morbleu !
Nous trouvons le vin bon et les femmes bien faites,
Et nous ne voulons pas mettre un crêpe au ciel bleu,
Ni penser qu’il y a des lendemains aux fêtes.