Page:Richepin - La Chanson des gueux, 1881.djvu/17

Cette page a été validée par deux contributeurs.
VI
la chanson des gueux

dangereux de rétipoler contre elle, il me semble qu’en ce qui me concerne, cela serait particulièrement sot, et (si j’ose avancer un paradoxe) souverainement injuste.

Voilà qui va t’étonner sans doute ; car tu t’attendais à une verte diatribe de ma part, et je te vois d’ici, te pourléchant déjà les badigoinces, à l’idée des épigrammes plus ou moins aigres que ne peut manquer de distiller, penses-tu, ma bile rancunière a l’égard des magistrats. Il m’en coûte de te frustrer d’un pareil régal ; mais le fait est que je n’ai aucune bile sur le cœur. Loin de là, je plains mes juges, au lieu de leur en vouloir ; et je considère qu’en l’occurrence de mon accusation et de ma condamnation ils ont été, tout comme moi, des victimes.

Ton étonnement redouble. Peut-être aussi crois-tu que j’emploie malicieusement la figure de rhétorique appelée ironie. Détrompe-toi : je parle en toute sincérité. Pour bien comprendre ce que je veux dire, fais ce que j’ai fait moi-même avant de juger mes juges, mets-toi à leur place, et vois si vraiment ils ont commis quoi que ce soit dont il m’appartienne de les blâmer.

Crois-tu donc qu’ils aient eu, eux personnellement,