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gueux de paris


Souvent il a jeté quelques notes joyeuses,
Et pourtant ma douleur tristement s’y complaît.
J’entends rire ou pleurer des voix mystérieuses
Dans un accord banal, dans un air incomplet.

Puis, que de souvenirs, que de choses passées,
De jours évanouis et de bonheurs perdus,
Renaissent brusquement du fond de nos pensées
À des sons oubliés tout à coup entendus !

Il suffit d’un enfant qui chante et qui mendie,
D’un violon criard ou d’un orgue aux abois,
Pour nous remémorer la vieille mélodie
Escortée aussitôt des choses d’autrefois.

C’est ainsi que ce soir, de loin, par ma fenêtre,
Un air d’orgue arrivant sur le vent printanier,
À son refrain vulgaire, et qui fut gai peut-être,
Triste, je me souviens d’un jour, l’hiver dernier.

Malgré les arbres verts aux feuilles d’émeraude
Et les cris des oiseaux fusant dans le ciel bleu,
Je revois devant moi la chambre étroite et chaude
Où j’étais ce jour-là, près du lit, près du feu.

Ce jour-là, je pleurais, oh ! comme un enfant pleure,
Comme on pleure à vingt ans d’une douleur d’amour.
J’écoutais lentement couler, heure par heure,
Au bruit de mes sanglots la longueur de ce jour,