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gueux des champs

Il s’amuse à tirer chaque boucle qui frise
Pour la voir revenir sur elle brusquement.
Puis, montrant le gros nez, avec un bégaiement
Il rit, l’admire, y met les deux mains, et s’en joue,
Et pour souffler dedans gonfle déjà sa joue.
Mais le vieux se détourne, et par coups alternés
Lui frotte malgré lui sa barbe sur le nez,
Jusqu’à ce que, saisi par l’oreille, il s’arrête.
Alors aux coups mutins il présente sa tête,
Et l’enfant, de ses poings qui tombent tour à tour,
Tape sur le front nu comme sur un tambour.
Le vieillard cependant crie en riant sous cape,
Et lui paie en baisers les coups dont il le frappe,
Et le presse sur lui plus amoureusement,
Heureux d’être vaincu dans ce combat charmant,
Qui se fait sans colère et qu’il perd sans défense ;
Car toujours la vieillesse est bonne pour l’enfance.

Mais quel est le plaisir qui ne soit pas amer ?
Dans le cœur du vieillard soudain, comme une mer,
Montent mille regrets qui s’épanchent en larmes.
Du bonheur qu’il n’eut pas il sent trop tard les charmes,
Lui qui n’a jamais eu famille ni foyer,
Ni de femme à chérir ni d’enfants à choyer,
Lui qui depuis longtemps ne connut d’autre envie
Que d’errer sans rien faire au hasard de la vie,
Il se prend à songer, tout bas, avec douleur,
Que le travail est bon, alors qu’il a pour fleur
Un enfant dont on veut rendre le sort prospère.
C’est triste pour un vieux de n’être pas grand-père.