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Histoire

monde avoit les yeux attachés sur moi, & sembloit me féliciter en silence, avec autant de joie que d’admiration. De mon côté, je me sentois dans le cœur une variété de mouvemens que je n’avois jamais éprouvés, un mêlange de tendresse & d’étonnement, & je doutois quelquefois si ce n’étoit pas un songe, si j’étois dans ce monde ou dans un autre, si j’étois Henriette Byron… Il m’est impossible de décrire ce qui se passoit dans mon cœur, tantôt incertain, tantôt joyeux, tantôt abattu : Abattu, me direz-vous ? Oui, ma chere Mylady. L’abattement a eu beaucoup de part à ma sensibilité. J’aurois peine à vous dire pour quoi, cependant ne peut-on pas concevoir une plénitude de joie qui soit mêlée de quelque amertume ?

Vous attendez le résultat de notre conférence. Ma Grand’Mere, ma Tante & Lucie ont jugé que je devois chasser de ma tête toutes les idées de partage, ou de seconde place en Amour, que la délicatesse du sexe étoit satisfaite sur tous les points ; que non-seulement il devoit lui être permis d’aimer Clémentine, mais que je devois moi-même de l’affection & du respect à cette excellente Fille ; que l’ouverture étant faite à ma Grand’Mere, c’étoit elle qui devoit répondre pour moi, pour toute la Famille, dans les termes qu’elle jugeroit à propos d’employer.

J’avois la bouche fermée. Qu’en pensez-vous, ma chere ? m’a dit ma Tante, avec sa tendresse ordinaire.