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Histoire

J’avois craint plus d’une fois que ses yeux ne la trahissent à ceux de son Tuteur, qui n’attribue, jusqu’à présent, son respect, qu’à la reconnoissance. Au moment qu’il est sorti, venez ici, mon Amour, lui ai-je dit avec la tendresse d’une Sœur. Elle est venue. Ma très-chere Émilie, si vous regardiez tout autre homme, de l’air que je remarque souvent, & que vous aviez aujourd’hui en regardant votre Tuteur, cet homme, s’il n’étoit pas marié, pourroit espérer d’obtenir bientôt une Femme.

Elle a soupiré. Mon Tuteur s’en est-il apperçu ? Je me flatte, Madame, qu’il n’y a pas fait tant d’attention que vous.

Tant que moi, ma chere ?

Oui, Madame. Lorsque mon Tuteur est présent, je vois que vous m’observez beaucoup. Mais j’espere que vous n’avez rien remarqué dont vous soyez offensée.

Vous êtes sérieuse, Émilie.

Il me semble que ma chere Mylady Grandisson l’est aussi.

Cette réponse m’a surprise, & m’a causé même un peu d’embarras. Son amour, ai-je pensé, peut la rendre trop hardie, sans qu’elle y fasse d’attention. En effet, ne s’appercevant pas qu’elle m’eût un peu déconcertée, elle a regardé un petit ouvrage d’aiguille dont je m’occupois : Que ne donnerois je pas, Madame, pour travailler dans cette perfection ? Mais vous soupirez, Madame ?

Oui ; pour cette pauvre Clémentine ! ai-je dit : & réellement, elle s’étoit présentée à mon souvenir.

Soupirez-vous, Madame, pour tous ceux qui aiment mon Tuteur ?

Il y a différentes sortes d’amour, Émilie.

C’est ce que je m’imagine, Madame. Personne n’aime plus que moi mon Tuteur ; mais ce n’est pas le même amour que celui de Clémentine : j’aime sa bonté.

Et croyez-vous que Clémentine ne l’aime pas aussi ?