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du Chev. Grandisson.

vue néanmoins d’aller jusqu’à l’allée d’Ormes, au-devant du Courrier que nous attendions.

Sir Charles s’est jetté à mes pieds. Il m’a dit quelques mots d’excuse sur sa précipitation, & des remercimens pour ma derniere Lettre… À peine l’ai-je entendu : & l’excès d’une si délicieuse surprise ne m’a pas moins ôté le pouvoir de lui répondre. J’étois réellement hors de moi : & que direz-vous, ma chere, si j’ajoute, qu’en revenant à moi-même, je me suis trouvée dans ses bras, les deux miens passés autour de son cou. Mon transport n’a pu manquer de le surprendre. À l’instant il s’est vu environné de tout le monde. Ma Tante s’est hâtée de l’embrasser ; & pendant quelques momens, on n’a pu entendre que le bruit des félicitations. Moi, tremblante, & ne me fiant pas à mes pieds, j’ai voulu passer dans une chambre voisine. Personne n’a fait d’attention à moi, jusqu’à ce que ma Femme de chambre s’est présentée pour me soutenir, & m’a conduite sur un fauteuil. Votre Frere s’est dégagé aussi tôt pour me suivre, & tout le monde s’est empressé de passer avec lui. Il a pris ma main, assise comme j’étois ; & l’ayant serrée entre les deux siennes, il l’a pressée de ses levres, en me conjurant de calmer mes craintes. On lui avoit déja expliqué la cause de toutes nos émotions : ils avoient tous autant de sujet que moi de rougir. Nancy, comme je l’ai su, Nancy même avoit saisi sa main, & l’avoit baisée dans son transport. Qu’il nous est cher à tous ! il le voit bien à ce moment. Les réserves seroient à présent de mauvaise grace. Formalités, délicatesses de Familles, comme il les appelle dans ses Lettres, nous n’y prétendons plus.

Pendant qu’il me disoit mille choses tendres, mon Oncle & ma Tante lui ont demandé un moment d’entretien, pour me laisser le tems sans doute de rappeler entierement mes esprits. Ils l’ont informé de toutes les circonstances. Le Mes-