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Histoire

lui. Comment l’auroit-il vu ? a-t-elle continué. Vous savez que nous étions rarement ensemble ; & lui ayant tant d’obligation, il a pu n’attribuer mes égards qu’à la seule reconnoissance. Mais il est clair qu’il m’aime ; ne le pensez-vous pas ? & peut-être m’auroit-il donné la préférence sur toutes les autres Femmes, s’il avoit pu se refuser aux circonstances. Que le Ciel répande sur lui toutes ses bénédictions ! a-t-elle ajouté : c’est mon premier amour ; jamais je n’en aurai d’autre. Ne blâmez pas cette déclaration, ma chere Mylady. Vous m’avez déja condamnée une fois, en me traitant de Romanciere : mais songez que l’homme est Sir Charles Grandisson.

Malgré toutes ces apparences de force, hélas ! chere Sœur, on s’apperçoit aisément que les heures solitaires de cette aimable Fille sont un pénible fardeau pour elle. Elle a pris l’habitude de soupirer. Elle se leve avec les yeux enflés : le sommeil l’abandonne : l’appétit lui manque : & tous ces symptômes ne lui sont pas inconnus à elle-même ; on en juge par l’effort qu’elle fait pour les cacher. Quoi ? Faut-il qu’Henriette Byron, avec une beauté incomparable, avec une santé si florissante, une humeur si égale, des passions si faciles à gouverner, généreuse, reconnoissante jusqu’à l’héroïsme ; supérieure à toute autre femme en franchise de cœur, en vraie délicatesse, d’un jugement & d’une maturité d’esprit au-dessus de son âge ; faut-il qu’elle