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du Chev. Grandisson.

sensé, que de celle d’homme d’esprit.

Voici le récit de Miss Grandisson : j’avois été chargée des excuses de ma Sœur ; je remontai avec les ordres absolus de mon Pere. Ô chere Mere ! s’écria Caroline, lorsqu’elle se vit forcée de descendre ; quel besoin j’aurois ici de votre douce médiation ! Mais, Charlotte, je ne puis marcher ni me tenir sur mes jambes. J’aiderai à vous soutenir, lui répondis-je, & vous ferez vos efforts pour vous traîner. L’amour rampe, dit-on, lorsqu’il ne peut marcher. Je me souviens que Caroline m’accusa de méchanceté. Mais je ne le disois que pour la faire rire & lui rendre un peu de courage. Elle sait bien que je ne laissois pas d’avoir les yeux en larmes. Vous pensiez, lui a répondu plaisamment Mylady, à ce que vous pouviez craindre pour vous même. Je le crois assez, a repliqué Miss Charlotte ; car il me semble que ce que nous sentons pour autrui, ne nous touche jamais au vif.

J’ai fait aussi ma réflexion : un cœur compatissant, ai-je dit aux deux Sœurs, est un vrai présent du Ciel, quoiqu’il expose à bien des peines ; mais la vie seroit insupportable, si nous sentions aussi vivement celles d’autrui que les nôtres. Qu’il étoit heureux pour Miss Charlotte de se sentir capable de rire, lorsque les leçons d’un Pere ne la regardoient pas moins que sa Sœur ! Fort bien, m’a-t-elle répondu. Comptez que j’aurai mon tour. Mais je reprens mon récit.