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Histoire

chere… Ajoutez que M. Dean ne se lasse point de l’exalter ; & qu’au lieu de blâmer mes sentimens, il les loue, il va jusqu’à m’en faire un mérite. Savez-vous, ma chere, qu’il me croit digne de lui ? Digne de Sir Charles Grandisson ! Pourquoi ne m’a-t-il pas fait des reproches ? Pourquoi n’a-t-il pas entrepris de me dissuader ? Tant de disproportion entre le mérite, entre la fortune ! Un homme qui connoît si bien l’emploi des richesses ! Les Indes, ma chere, devroient être à lui. Quelle figure il feroit sur le trône ! Ce n’est pas une ame comme la sienne, que le pouvoir seroit capable de corrompre. César, a dit le Docteur Barlet, en parlant de lui devant M. Dean, n’avoit pas plus d’ardeur à détruire, que Sir Charles Grandisson à réparer. Les yeux d’Émilie ont paru s’animer à cette expression ; & dans sa joie, elle les a promenés fiérement sur toute l’assemblée, comme pour nous dire : ce Sir Charles, c’est mon Tuteur.

Mais que pensez-vous d’elle, chere Lucie ? M. Dean croit découvrir, dans Miss Jervins, une passion naissante pour son Tuteur. Le Ciel l’en préserve ! Je suis persuadée que l’amour peut-être vaincu dans sa naissance : mais quelles seront les armes d’une fille innocente & sans expérience ? Ô chere Émilie ! gardez-vous d’une passion qui feroit votre malheur : & n’augmentez pas celui d’un homme, qui souhaiteroit de rendre heureux le monde entier, & qui ne peut faire