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ne pouvait pas douter, ma chère, que je n’eusse beaucoup à dire contre un temps si court, et que je n’eusse nommé un jour plus éloigné, quand le délai qu’il avait déjà proposé m’y aurait laissé plus de disposition. Cependant, me voyant garder le silence, il a repris : " oui, demain, chère miss, ou après demain, ou le jour suivant ! Et me prenant les deux mains, il m’a regardée fixement pour attendre ma réponse. " cette ardeur, fausse ou sincère, m’a rendue confuse. Non, non, lui ai-je dit. Il n’y a aucune raison de se presser si fort. Il sera mieux, sans doute, que milord puisse être présent. Je ne connais pas d’autres loix que vos volontés, m’a-t-il répondu aussi-tôt, d’un air de résignation, comme s’il n’eût fait que se rendre effectivement à mes désirs, et qu’il lui en eût coûté beaucoup pour me faire le sacrifice de son empressement. La modestie m’obligeait d’en paroître contente. C’est du moins ce que j’ai jugé. Que n’ai-je pu… mais que servent les souhaits ? Il a voulu se récompenser , terme qu’il avait employé dans une autre occasion, de la violence qu’il se faisait pour m’obéir, en me donnant un baiser. Je l’ai repoussé avec un juste et très-sincère dédain. Mon refus a paru le surprendre et le chagriner. Son mémoire apparemment l’avait mis en droit de tout attendre de ma reconnaissance. Il m’a dit nettement que, dans les termes où nous en étions, il se croyait autorisé à des libertés de cette innocence, et qu’il était sensiblement affligé de se voir rejeté d’un air si méprisant. Je n’ai pu lui répondre, et je me suis retirée assez brusquement. En passant devant un trumeau, j’ai remarqué dans la glace qu’il portait le poing à son front ; et j’ai entendu quelques plaintes, où j’ai démêlé les mots d’ indifférence et de froideur qui approchaient de la haine . Je n’ai pas compris le reste. S’il a dessein d’écrire à milord ou à Miss Montaigu, c’est ce que je ne puis assurer. Mais comme je dois renoncer maintenant à toute délicatesse, peut-être suis-je blâmable d’en attendre d’un homme qui la connaît si peu. S’il est vrai qu’il ne la connaisse pas, et que, s’en croyant beaucoup néanmoins, il soit résolu d’être toujours le même, je suis plus à plaindre qu’à blâmer. Après tout, puisque mon sort m’oblige de le prendre tel qu’il est, il faut m’y résoudre. J’aurai un homme vain, et si accoutumé à se voir admirer, que, ne sentant pas ses défauts intérieurs, il n’a jamais pensé à polir que ses dehors. Comme ses propositions surpassent mon attente, et que dans ses idées, il a beaucoup à souffrir de moi, je suis résolue, s’il ne me fait pas de nouvelle offense, de répondre à son mémoire, et j’aurai soin que mes termes soient à couvert de toute objection de sa part, comme les siens le sont de la mienne. Au fond, ma chère, ne voyez-vous pas de plus en plus combien nos esprits se conviennent peu ? Quoi qu’il en soit, je veux bien composer pour ma faute, en renonçant, si ma punition peut se borner là, à tout ce qu’on appelle bonheur dans cette vie, avec un mari tel que j’appréhende qu’il ne soit : en un mot, je consens à mener, jusqu’à la fin de mes jours, une vie souffrante dans l’état du mariage. Le supplice ne saurait être bien long. Pour lui, cet événement et les remords qu’il sentira d’en avoir mal usé avec sa première femme, pourront le rendre plus traitable pour une seconde,