Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/86

Cette page n’a pas encore été corrigée


Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

mercredi matin, 17 de mai. Monsieur Lovelace aurait souhaité d’engager la conversation hier au soir ; mais je n’étais pas préparée à raisonner sur ses propositions. Mon dessein est de les examiner paisiblement. Sa conclusion m’a extrêmement déplu. D’ailleurs, il est impossible, avec lui, de se retirer de bonne heure. Je le priai de remettre notre entretien au lendemain. Nous nous sommes vus dans la salle à manger dès sept heures du matin. Il s’attendait me trouver des regards favorables ; que sais-je ? Peut-être un air de reconnaissance ; et j’ai remarqué au sien qu’il était fort surpris de ne me pas voir répondre à son attente. Il s’est hâté de parler : mon très-cher amour, êtes-vous en bonne santé ? Pourquoi cet air de réserve ? Votre indifférence ne finira-t-elle jamais pour moi ? Si j’ai proposé quelque chose qui ne réponde pas à vos intentions… je lui ai dit qu’il m’avait laissé fort prudemment la liberté de communiquer ses propositions à Miss Howe, et de consulter quelques amis par son moyen ; que j’aurais bientôt l’occasion de lui envoyer le mémoire, et qu’il fallait remettre à nous entretenir de cette matière lorsque j’aurais reçu sa réponse. Bon dieu ! Je ne laissais pas échapper la moindre occasion, le plus léger prétexte pour les délais. Mais il écrivait à son oncle pour lui rendre compte des termes où il en était avec moi : et comment pouvait-il finir sa lettre avec un peu de satisfaction pour milord et pour lui-même, si je n’avais pas la bonté de lui apprendre ce que je pensais de ses propositions ? Je pouvais l’assurer d’avance, ai-je répondu, que le principal point pour moi était de me réconcilier et de bien vivre avec mon père ; qu’à l’égard du reste, sa générosité le porterait sans doute à faire plus que je ne désirais ; que par conséquent, s’il n’avait pas d’autre motif pour écrire, que de savoir ce que milord M voulait faire en ma faveur, c’était une peine qu’il pouvait s’épargner, parce que mes désirs, par rapport à moi-même, seraient plus aisés à satisfaire qu’il ne paroissait se l’imaginer. Il m’a demandé si je permettrais du moins qu’il parlât de l’heureux jour, et qu’il priât son oncle de me servir de père dans cette occasion ? Je lui ai dit que le nom de père avait un son bien doux et bien respectable pour moi ; que je serais charmée d’avoir un père qui me fît la grâce de me reconnaître. N’était-ce pas m’expliquer assez, qu’en pensez-vous, ma chère ? Cependant il est vrai que je ne m’en suis aperçue qu’après y avoir fait réflexion, et que mon dessein alors n’était pas de parler si librement ; car, dans le tems même, j’ai pensé à mon propre père avec un profond soupir, et le plus amer regret de me voir rejetée de lui et de ma mère. M Lovelace m’a paru touché et de ma réflexion, et du ton dont je l’avais prononcée. Je suis bien jeune, M Lovelace, ai-je continué, en détournant le visage pour essuyer mes larmes ; et je ne laisse pas d’avoir éprouvé déjà