Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/85

Cette page n’a pas encore été corrigée

de ma sincérité, si j’étais capable de les traiter autrement, quoiqu’ils vous appartiennent de si près. Voilà mes propositions, madame. Ce sont les mêmes que j’ai toujours eu dessein de vous offrir, lorsqu’il me serait permis de toucher une si délicieuse matière. Mais vous avez paru si déterminée à tenter toutes sortes de méthodes pour vous réconcilier avec votre famille, en offrant même de renoncer pour jamais à moi, que vous avez cru faire un acte de justice de me tenir éloigné jusqu’à l’éclaircissement de votre plus chère espérance. Elle est éclaircie. Quoique j’aie toujours regretté, et que peut-être je regrette encore de n’avoir pas obtenu la préférence que j’aurais souhaité de Miss Clarisse Harlove, il n’est pas moins sûr que le mari de Madame Lovelace sera bien plus porté à l’adorer qu’à reprocher à cette divine femme les tourmens qu’elle lui a causés. C’est de mes implacables ennemis qu’elle avait appris à douter de ma justice et de ma générosité. D’ailleurs, je suis persuadé qu’une ame si noble n’aurait pas pris plaisir à me faire souffrir, si ses doutes n’avoient été entretenus par de fortes apparences de raison ; et je me flatte de pouvoir penser, pour ma consolation, que l’indifférence aura cessé au moment que les doutes auront disparu. J’ajoute seulement, mademoiselle, que, si j’ai omis quelque chose qui puisse vous plaire, ou si le détail précédent ne répond point à vos vues, vous aurez la bonté d’y joindre ou d’y changer ce que vous jugerez à propos. Lorsque je connaîtrai vos intentions, je ferai dresser aussi-tôt les articles dans la forme que vous désirerez, afin qu’il n’y manque rien de ce qui dépend de moi pour votre bonheur. C’est à vous, très-chère miss, qu’appartient à présent la décision de tout le reste ". Vous voyez, ma chère, quelles sont ses offres. Vous voyez que c’est ma faute s’il ne me les a pas faites plutôt. Je suis une étrange personne ! être blâmable sur tous les points, et blâmable aux yeux de tout le monde ! Cependant n’avoir pas de mauvaise intention, et n’appercevoir le mal que lorsqu’il est trop tard, ou si près d’être trop tard, qu’il faut renoncer à toute délicatesse pour réparer ma faute. c’est à moi qu’appartient à présent la décision de tout le reste ! avec quelle froideur il conclut des propositions si ardentes, et contre lesquelles il ne me paraît pas qu’il y ait d’autre objection ! N’auriez-vous pas cru, en les lisant, qu’il allait finir par des instances pour me faire nommer le jour ? J’avoue que je m’y attendais, jusqu’au point d’avoir été choquée de me voir trompée. Mais quel moyen d’y remédier ? J’ai peut-être à faire bien d’autres sacrifices. Il me semble qu’il faut dire adieu à toute délicatesse. Cet homme, ma chère, ignore ce qui est connu de tous les hommes sages ; c’est-à-dire, que la prudence, la vertu et la délicatesse des sentimens font plus d’honneur au mari dans sa femme, qu’elles ne lui en feraient dans lui-même, si toutes ses qualités manquaient à sa moitié. Les erreurs d’une femme ne tournent-elles pas à la honte de son mari ? Heureusement, il n’en est pas de même de celle de l’homme par rapport à sa femme. Je ferai de nouvelles réflexions sur ce mémoire, et j’y répondrai par écrit, si j’en ai la force ; car il paraît à présent que la décision m’appartient.