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des seuls égards de la civilité, lorsqu’il espérait de la noblesse de mon cœur… espérez ce qu’il vous plaira, ai-je interrompu ; je dois vous répéter que je ne crois pas nos esprits faits l’un pour l’autre. Vous m’avez jetée dans l’embarras où je suis. Il ne me reste que Miss Howe pour amie. Je ne veux pas vous cacher mes véritables sentimens ; c’est contre ma volonté que je suis obligée d’accepter votre protection, dans les craintes que j’ai du côté de mon frère, qui n’a point abandonné ses projets, si j’en dois croire les avis de Miss Howe ; votre protection, c’est-à-dire, celle de l’homme qui cause mes disgrâces, et cela, souvenez-vous-en, sans que j’y aie la moindre part. Je m’en souviens, madame. Vous me répété si souvent, que je ne puis l’oublier. Cependant, monsieur, je veux vous la devoir cette protection, si mon malheur me la rend nécessaire, dans l’espoir que vous apporterez tous vos soins à prévenir les fâcheux accidens. Mais, qui vous empêche de quitter cette maison ? Ne puis-je vous faire avertir au besoin ? Il paroît que Madame Fretchville ne sait ce qu’elle veut. Les femmes d’ici deviennent, à la vérité, plus civiles de jour en jour ; mais j’aimerais mieux un logement plus convenable à ma situation. Personne ne sait mieux que moi ce qui me convient, et je suis résolue de n’être pas obligée à tout le monde. Si vous me quittez, je prendrai civilement congé de mes hôtesses, et je me retirerai dans quelque village voisin de la ville, où j’attendrai avec patience l’arrivée de M Morden. Il croyait, m’a-t-il dit, pouvoir inférer de mon discours, que ma négociation, du côté de ma famille, avait été sans succès. Il se flattait, par conséquent, que je lui accorderais enfin la liberté de me proposer des articles auxquels on donnerait la forme d’un contrat. Cette ouverture, qu’il pensait à me faire depuis long-temps, et qui avait été différée par divers accidens sur lesquels son cœur n’avait rien à se reprocher, il l’avait remise au moment que je prendrais possession de ma nouvelle maison, et lorsqu’il me verrait aussi indépendante en apparence que je l’étais réellement. Il m’a demandé la permission de m’expliquer là-dessus ses idées ; sans s’attendre, m’a-t-il dit, à une réponse immédiate, mais pour les soumettre à mes réflexions. Hésiter, rougir, baisser les yeux, n’était-ce pas un langage assez clair ? J’avais votre conseil trop présent. J’étais disposée à le suivre ; mais j’ai hésité. Il a repris la parole sur mon silence. Dieu lui était témoin de la justice, et, s’il l’osait dire, de la générosité de ses intentions. Il me demandait seulement assez de bonté pour écouter ce qui regardait les articles. Ne pouvait-il pas venir tout d’un coup au sujet, sans toutes ces préparations affectées ? Il y a mille choses, vous le savez, qu’on refuse et qu’on doit refuser, lorsque la permission de les dire est demandée ; et lorsqu’une fois on les a refusées, l’honneur oblige de ne pas se rétracter ; au lieu qu’étant insinuées avec un peu d’adresse, elles peuvent mériter plus de considération. Je me suis cru obligée, sinon d’abandonner tout-à-fait cette matière, du moins de lui faire prendre un tour plus vague, dans la double vue de m’épargner la mortification de montrer trop de complaisance, après l’espèce d’éloignement où nous avions été l’un de l’autre, et d’éviter, suivant votre avis, la nécessité de lui faire un refus, qui nous aurait encore